Les drogues mènent en prison, la prison mène aux drogues
Notre société, par bien des aspects, est anxiogène et addictogène : taux de chômage élevé, course à la performance, injonction au bonheur, rythme effréné, menaces et risques divers, sans parler de la pandémie. Outre quelques drogues légales pour s’activer et se détendre (café, tabac et alcool), toute une série d’autres substances sont interdites, et leur consommation peut en théorie mener en prison. En cas de circonstances aggravantes (récidive, revente, petite criminalité visant à financer la consommation, etc.), cette théorie peut cependant devenir réalité. A tel point qu’en Belgique, environ un détenu sur deux se trouve incarcéré pour des faits liés, de près ou de loin, aux drogues et à la loi de 1921.
Cependant, loin d’être un remède à l’addiction, la prison elle aussi, de par ses conditions stressantes voire inhumaines, est addictogène : 1 détenu sur 3 déclare y avoir déjà consommé des drogues illégales, et 4 % y ont même été initiés durant leur détention. Beaucoup de détenus développent également une dépendance aux médicaments qu’on leur prescrit, qui ne sont autres que des drogues légales.
Même si ces consommations arrangent bien le personnel des prisons dans la mesure où elles calment les prisonniers, de nombreux établissements pénitentiaires nient encore que des drogues illégales circulent à l’intérieur de leurs murs. Par conséquent, la réduction des risques en prison est plutôt minimaliste. Par exemple, contrairement à d’autres pays, il n’y a pas en Belgique de programme d’échange de seringues dans les prisons. L’usage se fait parfois dans des conditions très préjudiciables à la santé, et peut entraîner la transmission du VIH et de l’hépatite C (maladies pour lesquelles il n’y a pas de dépistage et de traitement systématique au moment de l’incarcération) et mener à diverses infections. Le seul programme structurel de réduction des risques en prison a été stoppé en 2015 faute de renouvellement de son financement. Il s’agissait d’un programme « Boule de Neige », dans lequel des détenus étaient formés à la réduction des risques et transmettaient les conseils et bonnes pratiques à leurs codétenus. Manifestement, cette action en faveur de la santé des détenus ne constituait pas une priorité pour le département de la justice.
Une compétence qui relève de manière aussi évidente de la santé publique ne devrait sans doute pas être aux mains du département de la justice. Ce dernier fonctionne avec une enveloppe fermée qui englobe tous les frais relatifs à la détention, y compris les soins de santé, et dans laquelle il choisit souvent de favoriser la rénovation et la construction de nouvelles prisons, plutôt que le droit à la santé des détenus, ou encore les programmes de réinsertion et de prévention de la récidive. Idéalement, les soins de santé des détenus devraient relever de la sécurité sociale. Le transfert de la compétence de la santé en prison du SPF justice au SPF santé est une revendication ancienne des organisations des secteurs drogues/addictions et prisons. Le processus de transfert est en route depuis plusieurs années, mais la mesure tarde malheureusement à se concrétiser.
Une autre mesure nécessaire serait de décriminaliser l’usage des drogues, ce qui éviterait à de simples consommateurs et petits revendeurs de se retrouver en prison, et qui désengorgerait à la fois la justice et les établissements pénitentiaires. D’autres pays l’ont fait, avec des résultats probants en termes de santé des usagers, de la santé publique, ainsi qu’en termes de criminalité et de récidive.