Ce 24 février, la loi qui régit, en les interdisant, la production, la distribution et la consommation de drogues en Belgique fête ses 101 ans. L’année dernière, à l’occasion de son centenaire, les collectifs citoyens #STOP1921 et SMART on Drugs avaient lancé « Unhappy Birthday », une vaste campagne de sensibilisation qui pointait à la fois l’inefficacité et les nombreux effets pervers de cette loi prohibitionniste : stigmatisation et discrimination des usager·e·s, exacerbation des violences, effets délétères sur la santé publique, obstacles à la prévention et à la réduction des risques, engorgement de la justice et des prisons, etc. Ils appelaient de leurs vœux une réflexion politique au sujet d’un changement législatif dans le sens d’une décriminalisation des usager·e·s de drogues : continuer de punir des personnes dont le problème éventuel relève davantage de la santé que de la criminalité revient à leur infliger une double peine. Les trois fédérations professionnelles (flamande, wallonne et bruxelloise) du secteur ‘drogues et addictions’, nourries par leur longue expérience du travail de terrain, sont d’ailleurs partisanes d’une telle évolution.

Tout au long de l’année, le site web de la campagne (unhappybirthday.be) s’est étoffé de nombreux messages et arguments qui soulignent les méfaits d’une loi largement rattrapée par le temps. Qu’ils soient présentés sous forme de constats, de chiffres précis, de réfutations d’idées reçues, de témoignages d’acteurs de terrain ou de victimes de la répression, ou encore de propositions concrètes, les arguments en faveur d’une évolution législative ne manquent pas. Plusieurs vidéos qui donnent la parole à des personnalités connues ou à des témoins anonymes soulignent encore le propos. On pense notamment à ce policier, chef d’une brigade des stups, qui juge son propre travail totalement inutile. Enfin, on trouve également sur le site de la campagne la vidéo du « tribunal d’opinion » du mois d’octobre, qui mettait en accusation la loi drogues. La cour était constituée de véritables acteurs judiciaires, et avait convoqué en guise de témoins des intervenants de terrain issus de divers horizons. Tous dressaient un tableau sombre des effets de la loi, non seulement sur les personnes concernées au premier chef, mais aussi sur la santé publique et la société en général. Sans surprise, au terme d’un (faux) procès éclairant, retransmis en direct sur BX1, la loi fut jugée inadéquate par un jury composé de personnalités issues de grandes organisations de la société civile.

Qui a dit que la démocratie était malade ? Au terme de cette campagne, qui fut couronnée de succès, non pas une, ni deux, mais trois institutions politiques belges de divers niveaux de pouvoir ont répondu à notre appel.

C’est le Sénat qui a ouvert le bal : dès la fin avril 2021, il a décidé d’établir un rapport d’information sur l’évaluation de la loi drogues de 1921 et de ses effets, en particulier en matière de cannabis. Le Sénat estime qu’il est urgent de « réfléchir à l’opportunité ou pas d’un changement de paradigme de la législation de 1921 ». Dans sa déclaration d’intention, la haute assemblée note que les connaissances scientifiques ont fortement évolué depuis un siècle tandis que la loi restait, elle, à peu près figée. Elle se propose par conséquent de s’abreuver à des sources scientifiques belges et internationales, et d’examiner le bilan des pays qui ont déjà sauté le pas d’un changement de paradigme en matière de cannabis ou sont en passe de le faire (Canada, Uruguay, bon nombre d’États des États-Unis, Luxembourg, Pays-Bas, Suisse, etc. ; depuis lors, l’Allemagne s’y est ajoutée également). Le rapport du Sénat est attendu avant la fin de la législature en 2024.

Au Parlement bruxellois, c’est suite à une journée thématique sur les drogues à Bruxelles que la Commission des Affaires sociales, de la Famille et de la Santé a auditionné, entre octobre et décembre dernier, toute une série d’acteurs de terrain, de chercheurs, de médecins, de magistrats et de policiers sur leur point de vue au sujet de la situation en matière de drogues, ainsi que sur la loi et son application. Un groupe de travail restreint prépare actuellement une proposition de résolution à ce sujet, dont on s’attend qu’elle remette en question le paradigme répressif actuellement en vigueur.

Enfin, la Cellule Générale de Politique Drogues, un organe composé de représentants des ministères compétents du fédéral et des entités fédérées, a défini ses priorités pour ces prochaines années. Parmi elles figure une « analyse et discussion des éventuelles lacunes, points névralgiques et questions de modifications de la loi drogues de 1921 ».

Nous remercions ces trois instances démocratiques d’avoir su entendre l’appel lancé par nos collectifs à l’occasion du centenaire de la loi de 1921, et soutenu par les travailleuses et travailleurs qui sont quotidiennement en contact avec les personnes qui en subissent l’impact de plein fouet. Nous ne doutons pas qu’elles fourniront un travail de qualité, sachant qu’il existe un abondant travail scientifique au sujet des différentes politiques drogues et de leurs effets sur le terrain, et que les exemples d’autres pays ayant changé de paradigme – et avec succès – dans ce domaine ne manquent pas. Étant donné que l’occasion de changer de cap ne se présente que rarement, nous avons confiance que notre pays saisira le centenaire de sa loi drogues pour la faire entrer dans une nouvelle ère, qui fera la part belle à la santé publique et à la justice sociale plutôt qu’à la répression, suivant en cela une tendance mondiale déjà bien amorcée, et appuyée par des recommandations des Nations Unies qui vont également en ce sens. Nous souhaitons à nos élus audace, clairvoyance et opiniâtreté. Rappelons que dans de nombreux débats sociétaux (droit à l’avortement, au mariage pour tous et à l’euthanasie), la Belgique s’est montrée avant-gardiste. Nous continuerons à interpeller nos politiques pour qu’elle le reste.

#STOP1921 et SMART on Drugs

Site web de la campagne : unhappybirthday.be