La « théorie de l’escalade », un sommet d’ineptie !
« Ça commence par un joint, et ça finit avec une seringue… » Cette réflexion presque banale illustre parfaitement une idée aussi répandue que fausse et dépassée : la « théorie de l’escalade » ou « stepping-stone theory » en anglais. Selon ce postulat, la consommation de substances jugées relativement bénignes entraînerait une forte probabilité de progresser ensuite vers des substances jugées plus dangereuses. En clair : les jeunes qui commencent par des substances légales et culturellement intégrées, comme l’alcool et le tabac, risqueraient davantage d’essayer le cannabis, ce qui pourrait les emmener progressivement vers des substances plus « dures » comme la cocaïne et l’héroïne. « Qui vole un œuf vole un bœuf », version drogues.
Cette idée fallacieuse est soutenue par les tenants d’un monde sans drogues pour inciter les jeunes à rester abstinents en affirmant que toute consommation revient à mettre le doigt dans un engrenage potentiellement sans fin. Non seulement, la classification des substances en fonction de leur dangerosité qui sous-tend cette théorie est erronée : l’alcool est loin d’être la plus bénigne des substances. Mais aussi et surtout, cette théorie reflète une erreur logique classique qui consiste à confondre corrélation et causalité. En effet, il est exact que la grande majorité des usagers de drogues considérées comme dangereuses a préalablement consommé de l’alcool ou du cannabis. Cela ne signifie pas pour autant – et la recherche l’a abondamment démontré – que c’est la consommation d’alcool ou de cannabis qui a entraîné la consommation ultérieure. Avec la même erreur logique, on pourrait dire que la consommation de lait ou de bonbons mène à l’héroïne, vu que tous les héroïnomanes en sont passés par là.
Même si nombre de prohibitionnistes adhèrent encore à la théorie de l’escalade, il a été démontré que la propension à la consommation abusive de drogues dangereuses tient davantage à des tendances psychologiques en partie héréditaires et à des parcours de vie difficiles. En observant le comportement de jeunes enfants, on pourrait déjà déterminer lesquels sont les plus susceptibles de développer à l’âge adulte des comportements à risque, dont l’abus de drogues.
Une autre théorie, souvent confondue avec la précédente, mais légèrement différente, est déjà nettement plus fondée : c’est la « théorie de la porte d’entrée » ou « gateway theory« . C’est l’idée selon laquelle, lorsqu’on choisit de consommer une drogue illégale, on entre en contact avec le marché noir et donc avec d’autres drogues illégales, ce qui peut favoriser le passage à la consommation d’autres produits. Ici, c’est donc l’illégalité du produit qui est en cause plutôt que ses caractéristiques biochimiques. Certains y voient un argument pour redoubler d’efforts dans la lutte contre toutes les consommations illégales, alors que d’autres en concluent qu’il faut séparer les marchés, voire légaliser toutes les substances. C’est en tout cas cette logique qui a prévalu aux Pays-Bas dans les années ’70, lorsque fut inaugurée la politique batave de tolérance envers le cannabis : tenir les nombreux consommateurs de cannabis éloignés des autres substances qui circulent sur le marché noir. Cette politique de tolérance n’est pas parfaite, mais elle a tenu ses promesses sur ce point : par rapport aux autres pays européens, les Pays-Bas ont des taux d’usage problématique d’autres substances que le cannabis relativement faibles.
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